
A la frontière du Pakistan, des villageois indiens inquiets et fatalistes

Dans son village indien coincé à la frontière pakistanaise, Hardev Singh a gardé un vif souvenir des précédentes confrontations militaires entre les deux pays. Alors c'est peu dire qu'il préfèrerait en éviter une autre, à tout prix.
"Pourvu que Dieu nous épargne une nouvelle guerre", soupire le sexagénaire.
Vue du ciel, sa localité de Daoke, 1.500 habitants et un massif temple sikh blanc coiffé d'un dôme en or, apparaît comme une minuscule encoche indienne sur le territoire pakistanais.
Sur trois de ses quatre côtés, de hauts grillages marquent la fameuse "ligne de contrôle". La frontière de facto en temps de paix, la ligne de front en cas de conflit.
"En 1971 et en 1999, les femmes, les enfants, le bétail et la plupart des jeunes hommes avaient été déplacés dans des abris plus sûrs", raconte Hardev Singh, "les plus anciens d'entre nous étaient restés au village pour éviter les pillages".
Depuis l'attentat qui a fait 26 morts la semaine dernière à Pahalgam, une ville touristique de la partie indienne du Cachemire, l'Inde et le Pakistan sont à nouveau sur le pied de guerre.
Sans même attendre de revendication, New Delhi a imputé la responsabilité de cette attaque à Islamabad, qui l'a aussitôt démentie.
Les soldats des deux puissances nucléaires échangent depuis des tirs le long de leur frontière, leurs gouvernements ont fait assaut de sanctions diplomatiques et leurs ressortissants ont été priés de quitter le territoire du voisin.
- "Retour en arrière" -
Et à Daoke, dans l'Etat du Penjab (nord-ouest), la frontière a été fermée à double tour.
Pour l'heure, ces bruits de bottes n'ont eu aucun impact sur la vie quotidienne du petit village. Mais ses habitants s'inquiètent, forcément.
"C'est triste, cette attaque barbare contre des civils, mais ils ne reviendront pas", juge Hardev Singh. "Une autre guerre ramènerait nos deux pays des années en arrière et coûterait d'autres vies".
Plus jeune, Gurvinder Singh a gardé en mémoire les violents combats entre les deux armées en 1999, dans le lointain district de Kargil, à plusieurs centaines de kilomètres plus au nord.
"Une bonne part de nos champs avaient été minés à l'époque, nous n'avons pas pu les cultiver pendant un moment", raconte l'agriculteur de 38 ans.
Rien de tout ça pour l'heure à Daoke. "Notre village est normal", décrit-il. "Et de ce que je comprends, un éventuel affrontement aurait lieu loin d'ici, quelque part dans l'Himalaya".
A quelques kilomètres de là, les habitants de Rajatal, un autre village posé le long de la frontière, partagent la même inquiétude. Et usent de la même méthode Coué pour se rassurer.
- "Ce qui doit arriver..." -
"Ce sera une guerre technologique, pas à coups de sabre comme dans le passé", anticipe Gurvinder Singh, 35 ans. "Alors je ne m'inquiète pas".
Du haut de ses 77 ans, son voisin Sardar Lakha Singh préfère se souvenir des temps heureux où la barrière qui marque la frontière n'existait pas. A l'époque, lui et d'autres agriculteurs circulaient librement dans tout le secteur.
"Nous traversions de l'autre côté pour aller nourrir notre bétail", rapporte-t-il.
Aujourd'hui, certains Indiens disposent encore de champs de l'autre côté de la ligne de partage, où ils peuvent se rendre s'ils sont dotés d'un permis spécial. En tout cas en temps normal.
"Un garde nous accompagne pour assurer notre sécurité", détaille Gurvil Singh, 65 ans. "Mais on ne peut pas y aller n'importe quand, par exemple en dehors de heures de travail".
La semaine dernière, un vent d'inquiétude a soufflé sur les agriculteurs de ces villages frontaliers lorsque des médias ont évoqué la suspension à brève échéance, pour raison de sécurité, de leur droit de passage de l'autre côté.
Certains ont même commencé à préparer leurs affaires, prêts à partir vers l'arrière. Avant que les autorités ne démentent tout ordre de ce type.
Sardar Lakha Singh s'en amuse, fataliste. "Ce qui doit arriver arrivera de toute façon", philosophe-t-il. "Nous n'avons rien vu venir quand la guerre a débuté en 1965, pareil en 1971. Alors ce n'est pas la peine de s'inquiéter à l'avance..."
L.Côte--SMC