
Cyclisme: Hinault revient sur la terrible côte de Domancy et sur sa légende

La dernière fois que Bernard Hinault avait grimpé cette côte de Domancy (Haute-Savoie), c'était un dimanche d'août 1980. Il l'avait même enchaînée 20 fois, avant de s'en aller ravir en héros solitaire le titre de champion du monde à Sallanches.
Si le Français a accepté mardi de revenir gravir cette terrible montée qui porte aujourd'hui son nom, sur un vélo à assistance électrique cette fois, ce n'est ni par envie, ni par nostalgie, mais pour la bonne cause: promouvoir les Mondiaux de cyclisme que la Haute-Savoie, dans les Alpes françaises, accueillera en 2027, et dont il est l'ambassadeur.
"Pourquoi aurais-tu voulu que je la refasse? Ca ne sert à rien", rétorque à l'AFP, sourire en coin, un des plus grands cyclistes de tous les temps, avec sa franchise et sa répartie habituelles. "Je ne vais pas m'amuser à la faire pour le plaisir."
Une fois redescendu à Sallanches, la ville qui lui a érigé une stèle monumentale sur un rond-point, le Breton de 70 ans s'est confié sur les spécificités de ce circuit de 13 km, que la course en ligne empruntera encore vingt fois lors des Mondiaux-2027, et plus particulièrement sur cette montée de 2,5 km à 9,4% de moyenne (avec des passages à 16%) qui est entrée dans sa légende.
QUESTION: Avez-vous été ému de vous retrouver 45 ans plus tard à vélo dans cette côte ?
REPONSE: "Non, pas du tout. Il y avait en 1980 tellement de monde dans cette montée que tu ne te rappelles pas tous les pourcentages. Il y avait une foule qui était considérable. Je crois que 40.000 Italiens avaient passé le tunnel (du Mont blanc). En 2027, ça ne va pas être triste non plus, il faudra mettre des bonnes barrières. Je n'ai pas retrouvé l'endroit où j'ai largué (l'Italien Gianbattista) Baronchelli. La seule chose que j'ai reconnue, ce sont les deux derniers virages et la grand-route en haut. Je m'étais dit: +C'est gagné+."
Q: Qu'est-ce qui fait la difficulté de ce parcours?
R: "C'est la répétition. Quand tu refais 20 fois le même circuit, ça marque. Si tu as un parcours en ligne de 80 km avant, tu peux te reposer. Alors que là, si vraiment tu te retrouves mal placé avec la descente qui est très rapide derrière, ça te fait faire des efforts supplémentaires. Donc tu dois être hyper concentré et courir toujours dans les 30 premiers, pour regarder tout ce qui se passe. En 1980, après avoir fait la reconnaissance du parcours, en regardant la liste des adversaires, on pouvait se dire qu'il allait en manquer beaucoup. Au bout de deux ou trois tours, beaucoup de coureurs se sont dit +qu'est-ce que je fais là?+... Quand après deux tours, tu es déjà presque à 10 minutes, tu rentres à l'hôtel."
Q: Vous souvenez-vous comment vous aviez distancé Baronchelli dans la dernière montée ?
R: "Au tour d'avant, j'avais déjà essayé de lui mettre une petite pichenette. Je l'avais attaqué à 50 mètres du sommet mais il était revenu. Dans la dernière montée, quand il a touché le dérailleur (pour changer de vitesse), ça a fait +crac, crac, crac!+. C'était à la limite entre deux dents. Moi, je n'ai pas enlevé les dents. Et bing, j'ai attaqué ! Et comme il était à la limite, il s'est rassis et c'était fini pour lui. Il faut avoir les oreilles. Il faut écouter. Et quand tu as toute la foule autour, il faut vraiment être sur le qui-vive. Il fallait que je trouve le moyen de le lâcher. Et lui, il n'avait pas intérêt à rouler avec moi car il avait deux ou trois gars derrière encore."
Q: Imaginez-vous un Français gagner en 2027 ?
R: "Pourquoi pas ? Un championnat (du monde), c'est particulier. Tu peux avoir une échappée qui part, et puis avoir un gars dedans, et s'il sait courir, s'il se dit +bon, j'en fais le minimum, je ne vais pas montrer que je suis le meilleur+, tu peux aller jusqu'au bout. Mais quand on voit ce qu'on a aujourd'hui, les Pogacar, les Vingegaard, sur des circuits comme ça, je pense qu'ils ne seront pas trop mal. (...) Ce n'est pas un manche à balai qui va gagner. Le fait que ce soit le même parcours (par rapport à 1980), presque à 100%, (...) on va pouvoir comparer les vieux par rapport aux jeunes d'aujourd'hui."
Propos recueillis par Jacques CLEMENT
K.Morrison--SMC